
En consacrant son dernier ouvrage à Mahmoud Harbi, l’écrivain, politologue et historien, docteur Ali Coubba nous fait découvrir une personnalité politique hors paire qui a dit non à la France en 1958. Homme de la liberté et apôtre de panasomalisme en CFS (Côte Française de Somalie) Mahmoud Harbi, dépeint en toute objectivité par l’auteur, demeure un nationaliste Djiboutien.
Par ailleurs si certaines personnes auraient mal interprété la publication des extraits de cet ouvrage dans le site Arhotabba, qu’elles soient rassurées, car tel que je le connais, il y a fort à parier qu'Ali Coubba ne l'aurait fait que pour que les afars puissent tirer leçon de l’engagement politique de Mahmoud Harbi.
Mahmoud Harbi est-il un nationaliste djiboutien ?
La réponse est oui. Non seulement ce qualificatif lui sied mieux qu'à n'importe quel Djiboutien ayant lutté pour la décolonisation de notre pays, mais on est en droit de soutenir qu'il a été le premier nationaliste djiboutien à concevoir et à proposer un modèle d'indépendance pour la Côte française des Somalis. Que ce modèle fut synonyme de la négation de la nationalité afar et de ses droits, c'était une évidence. Dans ce contexte favorable aux idéaux révolutionnaires, les leaders afar n'ont rien fait pour développer leur nationalisme !
Sa vision était si révolutionnaire, son impact politique et social si grand, son engagement politique si précoce pour son époque que, de 1960 à 1975, il n'y aura pas une seule personnalité djiboutienne que l'on puisse raisonnablement traité d'héritier des idées et du nationalisme chers à Mahmoud Harbi. C'est à tort que l'on a voulu voir en Moussa Ahmed Idriss un homme de la trempe d'un Mahmoud Harbi ! Il est vrai qu'en 1966, M. Moussa empruntera l'allure et le verbe "harbiens".
Le Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS), en tant qu'organisation, pouvait à la rigueur se réclamer de ce courant politique. Ce lien ne s'effectuerait que par défaut dans la mesure où, comme en témoigne Ali Aref Bourhan, le député du territoire plaçait au coeur de la mouvance "Grande Somalie" son propre pays. Loin d'être un zélateur, il se voyait en timonier de cette aventure régionale. Son mutisme de 1953 à 1959 et son éloignement du club "Somali Youth League" peuvent avoir sa source dans la vision qu'il a acquise petit à petit de la vocation de la CFS à jouer un grand rôle dans le rassemblement du peuple somali. Son talent de tribun et sa passion pour les idéaux de liberté et de justice faisaient la différence. Il avait le don de trouver les mots qui exaltent et soulèvent les passions.
Nous l'avons déjà dit et écrit que Docteur Omar Osman Rabeh, en tant que militant et idéologue du pansomalisme, s'inscrit dans cette mouvance qui est restée chez nous à l'état embryonnaire. On le sait pourquoi ? Un intellectuel gadaboursi pouvait-il prétendre incarner dans un "pays issa" les idéaux développés par un enfant d'Ali-Sabieh ? Voilà le raisonnement mesquin que la classe politique adopte pour ne pas porter le débat au niveau des nationalités (afar, somali et arabe). Aujourd'hui, l'opposition djiboutienne, en dehors de quelques rares intellectuels, demeure prisonnière d'une approche qui prévilégie les circonvolutions claniques et tribales.
L'assassinat politique de Mahmoud Harbi (octobre 1960)
En 1960, le gouvernement français organise son assassinat politique parce qu'il représente un danger pour la politique étrangère que le général de Gaulle entend lancer à travers le monde pour rehausser l'image de la France et la remettre, parmi le concert des nations, à la place qui lui revient d'office. (cf. OO Rabeh, Ethiopie : roue de secours... d'Ethiopie).
Dès lors entre Mahmoud Harbi et le président de la république française s'établit un dialogue des sourds. Sur l'avenir de la CFS, deux grands personnages de l'histoire se font face, deux visions politiques s'opposent. Le premier ne veut entendre que parler que de l'"indépendance". Le second, sût de sa puissancene militaire, ne veut entendre parler que de "territoire d'outre mer", "territoire français". Evoquer un Etat appelé Djibouti et destinée à devenir membre de la commuanuté franco-africaine lui paraît une idée saugrenue. Pour de Gaulle, l'indépendance de ce territoire minuscule, sans ressources naturelles et démographiquement "inviable", relève d'une aberration (cf. Entretiens avec Foccart).
Au finanl, l'assassinat du député était un acte gratuit et inutile puisque que la République de Somalie (Somalia et Somaliland) n'avait pas l'intention de se lancer en 1960 dans un conflit avec la France.
Mahmoud Harbi est-il partisan de la "Grande Somalie" ?
Oui Mahmoud Harbi désirait rattacher Djibouti à la future Somalie unifiée. Dès 1947, notre homme est gagné à l'idée du pansomalisme véhiculé par le mouvement Somali Youth League (SYL). A l'origine, vers la fin des années 40, le pansomalisme se veut un mouvement progressiste, éloigné des fureurs irrédentistes et nationalistes qui le caractériseront à partie de 1960. L'administration française, qui n'a pas la réputation de jouer avec le feu, se demande d'ailleurs si elle ne pourrait pas être l'utiliser d'une manière ou d'une autre à son avantage... contre les Anglais et l'empereur Haylé Sellassié.
Nationaliste djiboutien et partisan de la Grande Somalie,il n'y a pas de contradiction entre les deux identités. Son programme politique, Mahmoud Harbi envisage de le réaliser en deux étapes. En 1958, lorsque le général de Gaulle lance l'idée d'un référendum pour le mois de septembre 1958, il prône l'indépendance immédiate. Cela lui permet de ne pas s'aliéner les élites afar et arabe de Djibouti. Après cette entreprise, l'indépendance de Djibouti, il compte consolider la souveraineté de son pays en le fédérant à la Somalie et au Somaliland. Sur ce point, il fait confiance à l'électorat de la CFS, majoritairement composé des Somalis.L'argument est imparable, en cas de contestation, il peut démontrer ce n'est pas lui qui établit les listes électorales à Djibouti.
En plaçant sur le plan régional, la quête de l'indépendance et de l'unité du peuple somali, Mahmoud Harbi interroge en même temps le nationalisme afar. D'après Maurice Méker, le chef du territoire de la CFS (1956-1958), la place de l'ethnie afar dans le territoire préoccupait beaucoup le vice-président Mahmoud Harbi. Persuadé que les Afars allaient bénéficier d'une intégration de plus en plus forte dans l'administration française, à l'instar de la communauté issa qui avait profité d'une "discrimination positive", il entend précipiter les choses.
Ali Coubba
Uguta-Toosa, octobre 2010
Ce message a été modifié par citywil - 02 décembre 2010 - 04:36 .