djibnet.com: La Journée D'un Chauffeur De Bus - djibnet.com

Aller au contenu

Page 1 sur 1
  • Vous ne pouvez pas commencer un sujet
  • Vous ne pouvez pas répondre à ce sujet

La Journée D'un Chauffeur De Bus Abdi et son Krichboy Noter : -----

#1 L'utilisateur est hors-ligne   le-patrouilleur Icône

  • Membre Avancé
  • PipPip
Groupe :
Membres
Messages :
3 607
Inscrit :
04-septembre 04
Gender:
Male
Location:
No idea

Posté 23 octobre 2008 - 07:10

Il est 4h30 du matin. Les appels à la prière commencent à retentir des différentes mosquées de la ville. Laquelle est encore plongée dans l'obscurité. Un vent sec souffle en ce mois de juillet où la chaleur estivale est un peu atténuée par l'aube safran. Une horde de chiens aboie, jappe et profite du calme momentané de cette ville où règne durant la journée un formidable tohu-bohu. Les rares passants de cette heure matinale semblent pressés.
Des petites vendeuses de beignets et autres friandises au vendeur ambulant de pain, en passant par les plus matinaux des gens, tout ce petit monde s'active. Quelque part au quartier 7, Abdi, 37 ans dont 15 passés comme chauffeur de bus, est déjà debout. Il fait ses ablutions et s'apprête à courber la prière du matin. Depuis plus de deux décennies, sa journée commence à cette heure. Seulement 4 heures de sommeil et c'est reparti pour une longue journée comme il en a l'habitude. Sous l'effet du khat, il n'a pas récupéré de sa fatigue qu'il emmagasine année après année.
Car le repos, Abdi ne le connaît pas. Non pas parce qu'il est passionné par son travail, mais une journée de répit est pour lui sans rendement car le chauffeur de bus est payé à la journée. Père d'une ribambelle d'enfants dont l'aîné vient d'obtenir cette année le bac, Abdi travaille dur pour subvenir aux besoins de sa famille. Il trime plus de 18 heures par jour.

Il est 5 heures, Abdi est déjà au volant de sa Mitsubishi. En compagnie de son " Krichboy ", debout lui aussi dès potron-minet, ils doivent faire un tour pour ramener les premiers passagers qui ne sont pas nombreux. Direction : la place Rimbaud, ce lieu vers où convergent chaque jour plusieurs centaines de bus et minibus. Un lieu qui ne désemplit pas et grouille de monde mais à cette heure-ci, un léger calme règne sur cette place. Vendeurs à la sauvette et marchands ambulants ne sont pas encore sortis de leur léthargie. La place Mohamoud Harbi, où le poète contrebandier Rimbaud entreposait autrefois ses stocks d'armes, est celle des marchés, dominé par le minaret de la grande mosquée. Elle est l'âme de la capitale.
A travers ses ruelles pittoresques qui s'entrecroisent, cette place est le passage obligé de tous les bus.

Abdi consulte sa montre, il est temps de passer au service du personnel d'une importante société du pays qui a loué son bus pour ses travailleurs. Les ramenant le matin au travail, il les cherche à 13 heures après la fin du boulot. C'est du moins le contrat passé entre la société et la patronne du bus. Et Abdi doit honorer cet engagement sinon il s'expose au courroux de la propriétaire du bus. Une femme au caractère bien trempé. Sur le chemin Abdi et son " Krichboy " engagent une conversation. Ils parlent de la dernière dérive de leur patronne qui fait toujours sienne, chaque soir que la recette diminue un peu.

" Tu sais Abdi, hier soir, tu as failli craquer sous les menace de " Qaylisso ". A un moment donné, j'ai cru que tu allais rendre ton tablier. Tes nerfs ont failli lâcher. Mais heureusement, tu as repris ton son froid. Il y a des soirs que nous avons tors et sommes responsables en partie de la diminution de la recette mais hier soir, cette dame a dépassé les limites. En tout cas, cela ne peut pas durer, il est temps de chercher un autre employeur "

Chercher un autre employeur, Abdi et son compagnon se le disent, chaque fois qu'ils essuient le grondement de " la cheffesse ", mais le travail qu'ils font n'a pas d'autres débouchés.
En quittant cette patronne qui les maltraite, ils seront livrés aux aléas de la vie. Le chauffeur de bus est un souffre-douleur. Il est à la merci de son patron qui peut le changer comme sa veste.

Abdi est bien conscient de cette situation. Lui qui est père d'une demi douzaine d'enfants. Il n'a pas droit à l'erreur. Et quand cela advient, il doit assumer les conséquences.

Comme par exemple un jour que sa voiture était mal stationnée, l'agent de la circulation lui a collé une amende de 5000FD. Le soir venu, il a présenté le papier justificatif à sa patronne, mais celle-ci n'a rien voulu savoir et a soustrait cette somme sur son émolument.

La journée d’ Abdi est faite d'agitation, d'hurlement de passagers. En hélant, le cri de son " Krichboy " lui donne parfois le tournis. Ajouter à cela les échauffourées entre passagers. Il devient à ce moment là le pompier qui essaie de circonscrire les cendres du foyer. Calmant les uns, câlinant les autres. Ce métier lui a permis de devenir un véritable psychologue. Mais parfois son flegme est mis à rude épreuve. C'est le cas de ce passager un peu dérangé qui refuse de payer les 40 FD du transport et qui s'en prend à son " Krichboy " en lui assenant quelques coups. Furieux, Abdi descend de la voiture et met presque KO l'agresseur. S'ensuit une bataille rangée entre les amis du passager en question et les professionnels des bus présent à la place Rimbaud. La police viendra ensuite régler l'affaire en incarcérant le fauteur de trouble.

De cette bagarre, Abdi gardera une cicatrice au niveau de sa joue gauche. Car le forcené avait une barre métallique tranchante qu'il avait utilisée contre Abdi.

Il est 11h30, notre chauffeur et son " Krichboy " doivent prendre leur déjeuner. Ils ont à leur actif déjà plus de 6 heures de travail. Les deux sont de gros gourmands. Il faut l'être lorsqu'on exerce pareil métier qui demande une énergie incommensurable. Moumina la restauratrice à laquelle ils sont abonnés et qui a pignon sur rue au quartier 7 et précisément à l'avenue Nasser leur réserve de copieux plats. Depuis quelques années, nos deux amis remplissent leur estomac ici. C'est un lieu prisé par les chauffeurs de bus. La patronne dégoulinant de sueur sert elle-même les clients. C'est aussi son travail rapide qui les attire.

Une fois rassasiés, nos deux amis ont juste le temps de faire un tour pour acheminer des passagers qui veulent regagner le centre ville.

13 heures, il est temps d'aller chercher les travailleurs. A cette heure de la journée, il est difficile de trouver un bus. Les gens sont début à la place Rimbaud et résistent tant bien que aux dards du soleil de plomb. Abdi et son " Krichboy " pensent déjà au Khat et commencent à sentir la fatigue. Car à partir de 14 heures, sa majesté fait jaser tout le monde. La fameuse plante euphorisante est très consommée par les chauffeurs et autres " Krichboy ". D'autres ajoutent un médicament appelé Damaï, une amphétamine très utilisée dans le milieu des professionnels des bus. Ainsi, en se dopant à outrance, ils oublient le dur labeur. Mais Abdi et son compagnon se contentent seulement de Khat.

18 Heures, sous l'effet du " Mirkane ", Abdi médite, le temps que son bus attende son tour pour prendre des passagers à la place Rimbaud. Anxieux, il pense à son travail qui l'éprouve physiquement. Dernièrement, un médecin lui a conseillé de changer de métier. Hypertendu et avec un taux de cholestérol très au dessus de la norme, sa santé commence à devenir fragile. Il a aussi quelques grammes de sucre dans le sang. Mais il n'a pas le choix.
Il doit subvenir aux besoins de sa famille.

C'est vers 23 heures, complètement ratatiné qu'il finit son travail avec toujours l'espoir de trouver un jour un autre boulot moins éprouvant. Ainsi va la vie de Abdi et aussi celle de tous les chauffeurs de bus.
A man likes his wife to be just clever enough to appreciate his cleverness, and just stupid enough to admire it.
0

Partager ce sujet :


Page 1 sur 1
  • Vous ne pouvez pas commencer un sujet
  • Vous ne pouvez pas répondre à ce sujet