Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya
Il existe un créationnisme négateur qui n’essaie même pas de contredire la science. Celle-ci, en conflit avec les Ecritures est rejetée en bloc, œuvre d’hommes pécheurs. Nul besoin de s’intéresser à la science. Ce créationnisme là, devenu minoritaire, n’est pas intrusif puisqu’il n’analyse pas les résultats de la science. Le créationnisme devient intrusif dès lors qu’il les contredit activement en mobilisant une apparente logique dans leurs négations.
Le créationnisme négateur s’exprime publiquement aux Etats-Unis d’Amérique à partir des années 1920. En 1919 la World Christian Fundamental Association est créée, organisation fondamentaliste (le terme vient de là) qui s’en tient à une interprétation littérale des Ecritures. Baptistes et presbytériens provoquent des démissions forcées de professeurs des écoles et tentent de faire interdire l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution par pas moins de trente-sept projets de loi déposés entre 1921 et 1937. Ces tentatives réussissent dans le Tennessee en 1925, dans le Mississippi en 1926, l’Arkansas en 1928 et au Texas en 1929. C’est dans cette ambiance qu’a lieu le fameux procès de Thomas Scopes à Dayton en 1925 et que se forgent entre 1935 et 1937 les premières associations et journaux créationnistes. On distingue déjà à cette époque les young earth creationists qui pratiquent une lecture littérale des onze premiers chapitres du livre de la Genèse : l’univers a été créé en six jours de vingt-quatre heures chacun ; toutes les espèces ont été créées ex nihilo sous leur forme actuelle au cours de la semaine de création voici 6000 ans ; le déluge explique les roches sédimentaires et les fossiles. On distingue également les old-earth creationists, qui admettent une création bien plus longue que celle des textes ; ne prennent pas les textes à la lettre et tentent de réconcilier certaines données scientifiques avec le livre de la Genèse à l’aide de montages variés (gap theory, day-age theory, etc.). Parmi ces derniers, les plus audacieux ont été même qualifiés de progressive creationists.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : tous refusent en bloc l’évolution biologique et requièrent l’intervention directe de Dieu en particulier en ce qui concerne l’apparition de l’homme.
Ces courants existent toujours. Leur prosélytisme sert aux intégrismes des trois monothéismes. Par exemple, dans sa négation du fait évolutif, le musulman Harun Yahya n’hésite pas à piocher dans tout ce que la négation de la théorie darwinienne de l’évolution peut compter de sites sur la toile, et surtout chez les fondamentalistes protestants.
Son « Atlas de la création », luxueux volume de 772 pages 28 x 38 cm et plus de cinq kilogrammes, a été gratuitement distribué en janvier 2007 à des centaines d’exemplaires (deux mille selon les dires de l’éditeur) à tous les laboratoires français travaillant de près ou de loin sur l’évolution, ainsi qu’à de nombreux lycées des grandes villes (en région parisienne, lyonnaise, marseillaise, etc.). En mars 2007 c’est au tour de la Belgique et de la Suisse d’être inondés, comme l’ont été plusieurs pays de langue anglaise auparavant. L’auteur, Adnan Oktar de son vrai nom, prédicateur proche de l’extrême droite turque, négationniste de l’holocauste, interné plusieurs fois en prison ou en asile psychiatrique (Le Monde, 9 février 2007), en serait à son sixième volume du même standard. La maison d’édition Global, basée à Istambul, emploie 92 personnes et publie exclusivement son œuvre traduite dans plusieurs dizaines de langues. Sa « fondation pour la recherche scientifique » était considérée en 2001 par le journal Science comme « l’un des mouvements anti-évolutionnistes les plus puissants hors des Etats-Unis ». Des expositions circulent, des livres pour enfants sont distribués gratuitement. Ses thèses figurent dans les livres scolaires turcs depuis 1985.
Les sources financières restent pour le moment inconnues. Il s’agit ici d’un créationnisme à la fois négateur et intrusif dans le sens où il y a manipulation et réinterprétation de faits scientifiques mais pas véritablement d’expériences scientifiques. L’enjeu est d’imposer la « vérité scientifique » du Coran au darwinisme. La plus grande partie du livre s’emploie à exposer une photographie en couleur et grand format d’un fossile en face de laquelle une photo d’un animal actuel semblable est censée prouver qu’il n’y a pas eu d’évolution. Après la réitération fastidieuse du même argument des centaines de fois et d’innombrables erreurs scientifiques d’identification, la dernière partie du livre montre plus explicitement le travail idéologique sous-jacent. C’est à cet endroit que les travaux américains des tenants de l’ « Intelligent Design » (voir plus loin) sont cités en exemple. C’est aussi là où la théorie darwinienne de l’évolution est rendue responsable, pêle-mêle, du nazisme, du stalinisme, du terrorisme, du chômage. Adepte d’une terre ancienne de 4,6 milliards d’années et de créations successives, l’auteur nous invite à nous tourner vers le Coran.
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